Sadibou Marong : « l’assassinat de Zogo ne doit pas rester impuni »

Le Cameroun a perdu 20 places dans le dernier classement de
Reporters sans frontières en passant de la 118 e place à la 138 e
place. Selon vous qu’est-ce qui peut expliquer une telle
dégringolade ?

Il a été difficile de percevoir une amélioration notable de la liberté de
la presse au Cameroun même si par ailleurs, on note l’existence de
plusieurs médias dans le pays. Au-delà de ce pluralisme, il y a
plusieurs autres facteurs défavorables. On peut d’abord noter le
cadre légal entourant la pratique journalistique qui nous semble
toujours insuffisant, l’absence de dépénalisation des délits de
presse, de loi d’accès à l’information, etc. Il y a ensuite
l’environnement économique difficile des médias et souvent les
velléités de contrôle du contenu rédactionnel par certaines autorités
qui détiennent les annonces publicitaires qu’elles veulent utiliser
pour mener souvent certaines batailles politiques à travers des
médias. Il y a aussi l’exercice difficile du journalisme dans le pays et
les questions de sécurité des journalistes dans les régions
anglophones mais également à Yaoundé comme le montrent
l’enlèvement et l’assassinat du journaliste Martinez Zogo. Et en
2019, il y a eu l’assassinat de Samuel Wazizi et celui plus récent de
Anye Nde Nsoh à Bamenda. Ce qui révèle à quel point les
journalistes dans les régions anglophones du Cameroun travaillent
dans une totale insécurité, souvent pris entre le marteau des
groupes armés séparatistes et l’enclume des forces armées
camerounaises. Ils font face souvent à des menaces, des
détentions arbitraires et des persécutions. Je signale que le degré
d’impunité pour les auteurs d’actes de violence envers les

journalistes reste très fort dans le pays. D’une manière générale, la
perte de places du Cameroun dans le classement mondial de la
liberté de la presse s’explique par cette multiplicité de facteurs que
nous venons d’évoquer et bien d’autres encore. Il faut de notre point
de vue continuer le plaidoyer auprès des autorités pour faire
améliorer la situation et il faut aussi encourager les acteurs des
médias qui s’efforcent, souvent avec beaucoup de résilience de
respecter les principes de base du bon journalisme et l’éthique
professionnelle, en s’engageant pour un journalisme de qualité.

Parlant de Martinez Zogo, qu’est-ce que RSF pense de cette
affaire qui est encore sur la table du juge d’instruction
militaire ?

Notre organisation s’est d’abord positionnée pour demander justice
pour Martinez, ses proches et ses collègues, avant de se mobiliser
pour mener des investigations dans le cadre desquelles notre
responsable du desk investigation a séjourné au Cameroun pour
des enquêtes. Comme l’ont révélé nos enquêtes, nous sommes
résolument en face d’un crime d’Etat avec un journaliste enlevé,
torturé puis tué. Il y a des suspects qui ont été arrêtés et il est
impensable qu’ils soient remis en liberté comme on a semblé l’avoir
vu récemment avant de voir une volte-face qui témoigne des
énormes pressions s’exerçant sur ce dossier et de la fragilité de
l’instruction en cours qui s’est largement discréditée en opérant de
la sorte. Mais la question de fond est toujours celle de l’impunité des
crimes commis contre les journalistes. L’assassinat de Zogo ne doit
pas rester impuni. RSF estime que les principaux suspects ne
doivent pas être remis en liberté compte tenu des éléments pesant
contre eux et appelle les autorités camerounaises à mettre en
œuvre les moyens et dispositions nécessaires pour garantir la
bonne tenue de l’instruction afin que la vérité soit dite et justice
rendue pour le journaliste assassiné.

RSF continue d’investiguer sur cette affaire ?

Oui RSF continue d’investiguer sur cette affaire. C’est une affaire
prioritaire pour RSF qui continue son enquête à travers son desk
investigation.

Pourquoi RSF conclut dans son rapport que le Cameroun est
l’un des pays les plus dangereux d’Afrique pour les
journalistes ?

D’une manière générale, il est difficile de dire que les journalistes au
Cameroun exercent sans craintes. Dans le monitoring quotidien que
RSF fait sur la liberté de la presse en Afrique subsaharienne, nous
documentons plusieurs cas de journalistes violentés, menacés,
empêchés de travailler ou même enlevés puis tués comme Martinez
Zogo. C’est un pays où ces dernières années, de nombreux
journalistes ont été victimes d’abus ou de violences. Amadou
Vamoulké, ancien directeur général de la Cameroon Radio
Television, est emprisonné depuis huit ans dans des conditions
déplorables, accusé sans fondement de détournement de
fonds. Nous avons récemment documenté les cas d’autres
journalistes comme celui du journaliste d’investigation Ebenizer Diki,
qui travaille souvent sur les répercussions des exploitations
minières ou forestières dans les villages du pays et qui, en octobre
2023 a été retrouvé blessé après avoir été probablement drogué et
enlevé alors qu’il enquêtait sur une éventuelle évacuation de
population locale dans l’Est du pays, un sujet manifestement
sensible. Il y a souvent des détentions arbitraires voire abusives de
journalistes comme on l’a documenté avec celle d’Alioum Aminou,
correspondant de la chaîne de télévision privée d’info en
continu Canal 2 International à Maroua arrêté dans le cadre de son
travail, détenu pendant deux jours. A signaler le cas du journaliste
Anye Nde Nsoh tué par balle le 7 mai 2023, à Bamenda-même si
les forces ambazoniennes – le groupe armé séparatiste dans cette
partie du Cameroun – a reconnu sa responsabilité, en assurant que
c’était une erreur d’identité. Nous documentons également des cas
de suspension de média et de journaliste comme ceux récents du
L’Indépendant et de son directeur de publication Max Mpandjo,

suspendus par le Conseil national de la communication pour une
durée d’un mois le 6 décembre dernier.
Le même rapport indique aussi que les journalistes
camerounais évoluent dans un environnement précaire. A
votre avis, cette précarité est-elle plus prononcée au Cameroun
que dans d’autres pays du continent ?

Nous percevons que l’exercice du métier de journaliste est difficile
au moins dans 40 % des pays d’Afrique subsaharienne. Le cadre
légal, la sécurité des journalistes, le pluralisme de l’information, et
surtout l’environnement économique des médias sont des facteurs à
prendre en compte. La question de la précarité dépend des pays,
mais il est clair qu’au Cameroun, nous percevons des difficultés
économiques réelles dans le secteur des médias. Et cela est à
corriger. S’il existe beaucoup d’organes de presse, il faut dire que
certains titres ne publient pas régulièrement à cause de problèmes
de coûts. Il faut un soutien avéré de l’Etat et à ce propos. Il faut
aussi saluer la détermination des promoteurs de médias privés à
tenir malgré l’environnement difficile. Ils font aussi un service public
utile aux populations et à ce titre devraient davantage bénéficier de
soutiens conséquents.
Interview menée par Emmanuel Ekouli

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Jean-Michel Bios
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